BERNIERES PRENDS TON LUTH…

Par Annie de Gery.

Cet article paru dans le B.O.N n° 31 est illustré par plusieurs photographies.


« Bernières village d’art et d’histoire », c’est ce que l’on serait tenté d’affirmer compte

tenu des artistes, peintres, dessinateurs, musiciens, artisans d’art qui y habitent et y travaillent.

C’est l’un de ces derniers que nous avons rencontré, dans l’enthousiasme de la découverte.


 


Oui, Bernières prends ton luth, car c’est un luthier que nous avons rencontré, passionné, persévérant, acharné, talentueux, mais si discret… malgré une réputation attestée, non par lui mais par des musiciens et de nombreuses références. Coiffant tantôt sa casquette de luthier tantôt celle de musicien, il participe à de nombreux festivals comme Jazz sous les pommiers bien connu, à Coutances, en Normandie, le festival d’Issoudun, en compagnie de vedettes internationales de la guitare manouche.

Avant d’en arriver là, il suit un parcours étonnant à plus d’un titre car, tandis que les professionnels lui conseillent de travailler plusieurs années chez un maître artisan pour acquérir les bases du métier et se faire connaître, lui a « foncé », fasciné à 17 ans par les guitares qui, sur les pochettes de disque, accompagnent Brassens ou Enrico Macias ! Ces images déclanchent chez lui, malgré son absence d’éducation musicale, un fol intérêt pour cet instrument et il se fabrique, d’après photo, une première guitare avec…une porte de placard ! Puis ensuite recopie « au pif » une guitare classique, avec du contreplaqué.

Seule sa passion le guide car il existe peu de documentation écrite, sauf en anglais, sur ce métier pourtant parmi les plus anciens ; il n’existe pas de compagnonnage en lutherie et il dit avoir été trop vieux à 17 ans pour faire une école. C’est un véritable autodidacte et c’est sur cette seconde guitare en contreplaqué avec des cordes en acier qu’il commence à travailler la musique.

Dans le même temps, d’après un schéma observé dans une encyclopédie, il fabrique un luth. C’est une vraie fascination pour les instruments à cordes. Mais pendant son service militaire, même effectué comme musicien, les cordes sont rares.

Suit une période difficile où il pratique seul la lutherie à Caen. De maintenance en réparations, il continue à progresser, mais pour des raisons économiques il se tourne vers la restauration de monuments historiques. Enfin en contact avec un luthier, il se perfectionne dans le métier qu’il aime, dans l’atelier de l’artisan avant de se tourner à nouveau vers les monuments historiques à Caen et à Paris, à la cour carrée du Louvre où il travaille le bois mais aussi la pierre

Enfin, il franchit le pas et s’installe comme artisan luthier définitivement en Normandie : Caen, Reviers puis Bernières…rue de la Pierre Debout.

Ce n’est pas le passage dans cette jolie petite rue de campagne qui lui donne une clientèle, mais c’est bien déjà sa réputation qui attire des grands professionnels du jazz manouche, mais aussi des musiciens amateurs, des élèves de conservatoire. J’ai rencontré chez lui un musicien qui venait de Cherbourg chercher une guitare.

Il règle, répare, restaure violons, violoncelles, contrebasses, luths, mandolines, guitares, mais ce sont ces dernières qu’il préfère fabriquer. Guitares classiques ou guitares de jazz l’an dernier dans son atelier de Bernières, il en a fabriqué treize, ce qui représente une importante production artisanale.

C’est de cet atelier, univers fait de l’odeur du bois et de la colle, des instruments accrochés, des ébauches qui semblent attendre, du calme et de sa simplicité, qu’émane toute la magie de la transformation du bois en ces formes précieuses, élégantes, féminines.

Les bois utilisés, pour le corps, le manche  ou les décors, sont des bois locaux : érable, if, noyer, cerisier ou des bois tropicaux : palissandre, ébène. Différents des scieurs d’ébénisterie, peu de scieurs sont spécialisés en bois de lutherie. Il y a pour chaque essence une adresse… et il faut se déplacer, loin souvent, pour constituer sa provision de bois. Pour travailler ce bois, des outils dont la fabrication et la forme qui n’ont guère varié depuis des siècles : presse, serre joints, moules que l’on fait soi-même, limes dont chaque dent est faite à la main.

Chaque journée de travail commence par l’affûtage du rabot, du canif, du ciseau. Ces tâches, bien qu’indispensables, pourraient paraître ingrates mais font semble-t-il partie de la passion du métier car lorsqu’on on demande au luthier quels sont les meilleurs moments de ce métier il répond : « tout, sauf les tâches administratives ».

Nous aurons peut-être l’an prochain, la chance, au cours des Journées du Patrimoine, de profiter d’une « opération porte ouverte » et chacun pourra alors découvrir tous les composants des instruments à cordes : le manche, la touche, les frettes, le corps, le chevalet, le cordier, et apprécier avec l’artisan, créateur, trop discret, les attraits de ce métier, que ces quelques lignes ont été insuffisantes à dévoiler.


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