LES COMMERCES A BERNIERES Images d’hier et d’aujourd’hui

Par Francine et Pierre Besson


Dans ses précédents bulletins[i] B.O.N. a publié plusieurs articles sur les commerces dans le village. Ces articles font ressortir qu’autrefois, la présence de nombreux magasins et boutiques apportait une grande animation dans la commune alors qu’aujourd’hui les commerces de proximité ont quasiment disparus. Reflet de l’évolution générale des structures économiques et sociales.

Mais replongeons-nous aujourd’hui encore dans le passé de notre village et continuons notre visite de ces commerces et autres lieux aujourd’hui disparus.



[i] B.O.N. n° 27, 28, 29 et 31

 


A

u cours de notre dernière visite, nous avions abandonné notre promeneur à l’angle de la rue Achille Henri Min et de la rue du Général Leclerc ; reprenons donc notre promenade en suivant le trottoir de la rue du Général Leclerc, coté des numéros impairs, en direction de l’église.

Rappelons qu’au n° 331 se trouvait le café-épicerie « Chez Charlotte ». Cet établissement, fréquenté par la clientèle locale, était très connu des voyageurs qui se rendaient à Caen. C’était là, en effet, qu’était assurée la vente des billets de car. Aujourd’hui, l’arrêt des autobus est toujours proche de ce bâtiment dans le sens Courseulles/Caen. En face, de l’autre coté de la rue, se trouve l’arrêt des bus dans le sens Caen/Courseulles.

Sur le même trottoir, en allant en direction de l’église, le promeneur passait devant le magasin de M. et Mme Lautié[i]. Ce ménage assurait la vente sur place de vêtements divers, de bleus de travail, de broderies, etc… Ils avaient aussi un atelier où était effectuée la fabrication de filets de pêche et de la broderie de rideaux. M. et Mme Lautié effectuaient aussi des ventes sur les marchés.

Nos lecteurs ont déjà fait connaissance avec la famille Lautié, dans la Lettre à mon cousin parue dans notre n° 28. Le cousin Ernest avait été fortement impressionné par l’ambiance que faisait régner Mme Lautié au Bar de la Plage, également connu sous le nom d’établissement Quinquemelle. Rappelons que la sœur de Mme Lautié était au piano et que son beau-frère, M. Bolbaert était à la batterie.



[i] Cf. infra, Bernières et la Grande Guerre, l’hôpital temporaire n°36

En poursuivant notre chemin, nous passons devant un beau portail de pierre, au n° 223, qui pourrait être celui qui se trouvait autrefois à coté de l’église, à l’entrée de l’ancien cimetière déplacé à la fin du XIXème siècle pour des raisons de salubrité. Ce portail a été remonté à son emplacement actuel en 1946.

 

En faisant attention à la circulation et en empruntant le passage piéton en pavés de granit qui se trouve devant le porche ouest de l’église, le visiteur se retrouve, après avoir traversé la rue, sur le trottoir opposé, coté des numéros pairs.

Face à lui se trouve « Les Djinns », propriété de l’UNCMT, construite à l’emplacement du manoir du Grand Trésorier du Chapitre de la cathédrale de Bayeux.

Le passant prendra à gauche la direction du carrefour du Sergent Gagnon situé à l’extrémité de la rue du Général Leclerc.

Il traversera la rue du Vignoble, appellation surprenante dans une commune de Normandie ! Cette appellation existait déjà en 1854 alors qu’en 1789, il s’agissait de la rue de la Thrésorerie.

En effet, elle est bordée au nord d’un mur ancien, soutenu par des contreforts. Cette construction clôt au sud la propriété de l’UNCMT « Les Djinns » située à l’emplacement du manoir du Grand Trésorier du Chapitre de la cathédrale de Bayeux. D’où la logique de l’ancienne appellation.

Alors pourquoi un vignoble ? Le lecteur trouvera une réponse convaincante dans un article de Jean Cuisenier, publié dans le bulletin de B.O.N. n° 15 de juin 1999[i] dont voici certains extraits marquants.

« Une pareille localisation n’est pas indifférente. On sait que les établissements ecclésiastiques, les chapitres de cathédrale et les abbayes en particulier, ont joué un rôle décisif dans la diffusion de la vigne, jusque dans les contrées où le climat pourtant ne se prête guère à la culture de cette plante. Il fallait en effet du vin pour célébrer la messe. Et en ces temps où les transports étaient difficiles, il était expédient de produire la boisson liturgique sur place plutôt que de la faire venir de loin et à grands frais »

 

« On sait. que le climat a changé. Il s’est radouci entre les XIème et XVème siècles……La température moyenne s’est sensiblement refroidie au XV ème et XVI ème siècles puis a fluctué au XVII ème et XVIII ème siècles. La contrainte climatique est donc moins grande qu’il ne semble. Et de multiples preuves montrent que la vigne fut effectivement cultivée en Normandie… »

Jean Cuisenier apporte comme preuves : les noms de lieux normands évoquant la culture de la vigne, une charte de Henri II Plantagenet mentionnant en 1185 les vignes des chanoines de Sainte-Barbe-en-Auge, un acte du XI ème siècle de Robert de Courci donnant à Perrières un terrain aux moines pour la construction d’une église et de maisons et la plantation d’une vigne, la production de vin concédée à Argences par le duc Richard aux moines de Fécamp.

Alors pourquoi les chanoines du Chapitre de Bayeux n’auraient-ils pas eux aussi planté des vignes à Bernières ? Une autre preuve : « Nous avons une idée de ce que fut le vignoble de Bernières en examinant les quelques rares vignes en treilles qui subsistent aujourd’hui, dans les cours abritées des vents et bien exposées au sud. Les murs des maisons de la rue du Marais qui donne dans la rue du Vignoble, ont été garnis de telles treilles jusque dans les années 1950 ».



[i] Ces numéros, introuvables dans le commerce, sauf peut-être sur e-bay, peuvent être consultés à la bibliothèque de Bernières, rue de l’Eglise, ouverte au public le mercredi et le samedi de 10 h à 12 h 15, ainsi qu’aux Archives départementales.

A l ‘angle de cette rue, au n° 218, Mme Benoit tenait la boutique « Au Bon Accueil ». On y trouvait de la bonneterie, de la mercerie et l’on pouvait se fournir en chaussures, vêtements de confection mais aussi des souvenirs pour touristes de passage. Ce magasin faisait également épicerie.

 

Au n° 234, M. Coupeaux, successeur de M. Duval, exerçait la profession de charron. Ce métier était particulièrement utile et important dans un commune rurale comme l’était Bernières qui comptait vingt-huit fermes au moment du Débarquement allié de 1944.

On longe ensuite un parking. A cet emplacement se trouvait un bâtiment édifié au début du XIXème siècle sur un terrain ayant appartenu également au chapitre de la cathédrale de Bayeux. Il avait abrité à partir de 1818 l’école manufacture de dentelle fondée par l’abbé Jacques Aubert, premier curé de Bernières après la Révolution à son retour d’exil à Jersey[i].

Deux religieuses de la Providence assuraient l’enseignement à l’école manufacture. Elles étaient subventionnées par la Commission départementale après vérification par le maire de la bonne formation des élèves ouvrières.

Un article très détaillé d’Annick Flohic-Patrizi[ii] apportera au lecteur curieux d’intéressantes informations sur le dur métier de dentellières qu’exerçaient de nombreuses jeunes femmes de Bernières.

Ce bâtiment servit ensuite de salle des fêtes et d’école pour les filles. Détruit au moment du Débarquement, il fut alors remplacé par une construction plus légère, partiellement en planches, le « Foyer Achille Min », à la fois salle des fêtes et cinéma. Il fut fermé, comme tous les bâtiments de ce type, après le tristement célèbre incendie du « Cinq-Sept »[iii].

La rue du Marais prend sur la droite. Son nom indique simplement la direction des marais.

A l’angle de la rue, au n° 284, se trouvait la ferme Lecardonnel (actuelle propriété de la famille Olivier-Martin).



[i] Il fut solennellement mis en possession des clés de l’église le 6 germinal an XI (avril 1802). Il écrit « Rentré dans l’église de Bernières pour y exercer les fonctions du Saint Ministère le Jeudi 17 ème jour de Juin 1802, jour de la fête de dieu, après 11 ans d’interruption « 

 

[ii] B.O.N. n° 16 de décembre 1999

[iii] Incendie du « Cinq-Sept » le 1er novembre 1970 à Saint-Laurent-du-Var

Au n° 290, une boulangerie a longtemps été installée ; elle a souvent changé de propriétaires, puisque MM. Janvier, Marie, Génisson, Brière y ont exercé successivement leurs talents de boulangers-pâtissiers au profit d’une clientèle toujours fidèle. L’activité a finalement cessé. Bernières s’est alors retrouvé avec un seul boulanger, installé sur la place de l’Eglise (voir le bulletin de B.O.N. n° 31 de décembre 2007).

Mme Barrette exerçait son activité de couturière à façon au n° 298. Son mari était jardinier. Un menuisier lui a succédé dans ces locaux.

Aujourd’hui, l’entreprise J.B. Electricité générale est installée dans cette maison, renouant avec la tradition des artisans installés au centre-ville. La façade de l’immeuble a été récemment rénovée mais conserve son cachet de boutique traditionnelle de village.

En poursuivant la visite le long du trottoir, le promeneur passe devant une grande maison où s’exerçait un tout autre type d’activité, spirituelle celle-là. En effet ce bâtiment, récemment vendu par la municipalité, abritait le presbytère de l’église de Bernières, reconnaissable à son portail en bois peint en blanc et surmonté d’une croix.

Inauguré en 1859, l’Abbé Blin étant curé de Bernières, la construction de ce « nouveau » presbytère avait donné lieu à d’âpres discussions entre le Conseil municipal et le Conseil de fabrique, organisme gérant les biens paroissiaux sous l’Ancien Régime. Paradoxalement ce dernier s’opposait à la construction du presbytère souhaitée par le conseil municipal présidé par Placide Berthélémy.

Précisons que l’abbé Blin, nommé curé de Bernières le 27 juin 1846, a été intronisé dans sa paroisse le dimanche 30 août 1846 et a exercé son ministère jusqu’en 1878.

Au n° 336, se tenait l’entreprise générale de menuiserie et maçonnerie de M. Carriou. Son domicile était situé sur le même trottoir, de l’autre coté de la rue de Cauvigny. Mme Carriou dirigeait un atelier de couture où elle employait plusieurs salariées.

Le promeneur traverse maintenant la rue de Cauvigny du nom de la famille de Cauvigny qui vivait à Bernières dès le XVIème siècle. En effet, dans un acte de 1574, apparaît le nom de Jacques de Cauvigny, sieur de Bernières, né en 1544 et qui épousa Jeanne Ouardet le 4 novembre 1567 en l’église réformée de Courseulles. De ce mariage naquirent ...seize enfants !

Cette descendance se partagea les titres et les terres de la famille. Leur action marqua la vie du pays : un Cauvigny acquit le fief de Semilly et ce serait un Cauvigny qui aurait fait construire en 1616 les chapelles de la Passion et de la Résurrection de l’église Notre-Dame de Bernières. Bernières ne pouvait faire moins que d’honorer cette famille par un nom de rue.

Au 48 de la rue de Cauvigny, était installée l’entreprise générale de maçonnerie, couverture et menuiserie de M. Maurice Letourmy. M. Henri Duval, également charron, lui a succédé puis l’activité a été reprise par M. Coupeaux.

La rue du Général Leclerc se termine au rond point du Sergent Gagnon.

Rosaire Gagnon était un des quatre éclaireurs de l’Advance party débarqués le 6 juin 1944 au petit matin pour reconnaître le point de rassemblement du Régiment de la Chaudière. De nombreuses photographies prises par les correspondants de guerre le représentent sur la plage et devant la gare au milieu de Bernièrais. Il reste à Bernières avec son régiment jusqu’au 8 juin et est abattu le 13 juin à Rots par un jeune soldat de la division Hitlerjugend. En donnant son nom à ce rond-point, la commune de Bernières a rendu hommage au courage de tous les Canadiens venus libérer la France.