UN PHOQUE A BERNIERES

Par Pierre BESSON


Depuis toujours la Côte de Nacre et Bernières reçoivent de nombreux visiteurs : humains bien entendu, mais aussi poissons côtiers, oiseaux migrateurs, gibier à poils et à plumes …

Mais parfois d’autres voyageurs plus surprenants dans notre région ont fait escale sur nos côtes.

A

insi les chroniques de Charles de Bourgueville, sieur de Bras, publiées en 1588, font état d’un événement ancien : L’on dict de grande antiquité que audict Bernières demeura sur le sable une grande Ballaine.(1) Cet épisode n’est pas daté, mais cette baleine aurait mesuré cinquante pieds de long, soit plus de 15 mètres.Plus récemment, une baleine s’est échouée en janvier 1885 entre Langrune et Luc-sur-Mer au lieu dit « la Brèche du Moulin » Elle pesait 40 tonnes et mesurait 19 mètres. Des milliers de visiteurs sont venus en train pour la voir. Son squelette est aujourd’hui visible dans le jardin public jouxtant la mairie de Luc-sur-Mer. La baleine est d’ailleurs l’emblème de cette commune.

Et cette année 2009, une jeune femelle phoque veau-marin s’est échouée sur la plage de Bernières, précisément le 22 août 2009, en début d’après-midi. La découverte de ce mammifère marin a été rapportée notamment par Ouest-France dans son édition du 27 août 2009 et par les Brèves de la Mairie du 25 août 2009.

Nos lecteurs trouverons ci-dessous divers commentaires et informations sur cette assez surprenante affaire.

 

Qui est le phoque veau-marin ?

 

Il s’agit d’un mammifère marin, avec des poils et des poumons pour respirer. La femelle porte des mamelles pour allaiter les bébés. Le phoque est un cousin des otaries et des morses mais il s’en distingue par différents attributs : il est doté d’oreilles internes qui ne se voient pas alors que l’otarie a de petites oreilles apparentes. Le morse a des défenses alors que le phoque en est dépourvu mais il possède une dentition voisine de celle du chien : incisives, crocs et molaires coupantes lui permettent de découper le poisson attrapé sans le perdre.

Le phoque est moins habile que l’otarie dans ses déplacements terrestres : ses pattes antérieures sont des nageoires, ce qui l’oblige à ramper alors que l’otarie se déplace comme un quadrupède.

La robe est en général grise et peut varier du gris clair au brun foncé ou noir.

La mer est l’élément du phoque. Il y trouve sa nourriture. Ses moustaches sont sensibles aux vibrations et l’aident à capturer les poissons. Un adulte de 80 kilos peut consommer de quatre à cinq kilos de poissons par jour et pour les capturer, il peut plonger jusqu’à 5 mètres de profondeur, parfois plus, jusqu’à 20 mètres. Ses plongées durent de trois à dix minutes et peuvent atteindre parfois vingt minutes.

Les phoques passent une assez longue partie de la journée sur des bancs de sable ou sur des rochers, quotidiennement submergés par les flots. Ils peuvent s’y hisser facilement pour se sentir en sécurité. En cas de dérangement, ils peuvent fuir rapidement dans l’eau. Les phoques s’étendent sur ces reposoirs pour profiter du soleil, stocker de la graisse, changer de pelage et, pour les femelles, allaiter les petits.

Quand la mer monte, le phoque flotte dans l’eau, tête et nageoires hors de l’eau.

Les femelles n’ont qu’un seul petit par an. Le nouveau né mesure un mètre en moyenne et pèse de dix à douze kilos. Le jeune phoque doit se gaver de lait maternel, très nutritif, pour se constituer une épaisseur de graisse. L’allaitement dure environ un mois. Ensuite le jeune se nourrira de poissons qui constituent l’essentiel de son régime alimentaire.

Le phoque est une espèce fragile, protégée et sa capture est interdite.

Il arrive que certains animaux s’échouent sur les plages à marée descendante. Il peut s’agir d’échouage soit d’animaux adultes affaiblis par une maladie, soit de jeunes séparés accidentellement de leur mère.

En cas de découverte d’animaux ainsi échoués, il convient de prévenir immédiatement des spécialistes car les chances de survie sont faibles.

 

Le phoque de Bernières

 

C’est ainsi que le 22 août 2009, en début d’après-midi, des promeneurs ont fait la découverte sur la plage de Bernières, face à l’avenue des Etrilles, d’un jeune phoque veau-marin échoué. Très affaibli, il n’était pas en état de reprendre la mer.

Un grand branle-bas de combat s’en suivit. Les associations habilitées sont contactées ; les gendarmes interviennent et les curieux s’agglutinent. Pour éviter les traumatismes, le petit mammifère est mis au repos dans le garage de Madame MOTTIN, Maire de Bernières. En fin de journée, un agent de l’Office National de la Chasse et de la Faune sauvage vient en prendre livraison.

Le jeune phoque est alors transporté au centre « Le CHENE » (Centre d’Hébergement et d’Etudes sur la Nature et l’Environnement) situé à Allouville-Bellefosse, en Seine-Maritime.

Au centre, l’animal est pris en charge et examiné : il s’agit d’une jeune femelle âgée d’un mois et demi à deux mois pesant quinze kilos. Elle est appelée Jasmine.

Elle est atteinte de pox virus. Sa patte arrière droite est très enflée et cela empêche tout examen. Elle est donc placée en quarantaine, seule dans une piscine.

Le mercredi 26 août le vétérinaire J.B. Delvaux vient l’examiner et diagnostique une infection à la patte (phlegmon). Il crève l’abcès et il place Jasmine sous antibiotiques.

Malgré deux semaines et demi de traitement, il n’y a pas d’amélioration. Jasmine a besoin de soins chirurgicaux (drainage) pour lesquels le CHENE n’est pas équipé.

Ce dernier a donc contacté les soigneurs de la ZEEHONDENCRECHE de Pieterburen en Hollande, centre spécialisé pour les phoques.

Son transfert est décidé le mercredi 9 septembre et est réalisé par André du centre de Pieterburen.

Les dernières nouvelles datent du 25 novembre dernier Mostafa, le vétérinaire de Pieterburen, indique que Jasmine se rétablit : elle a pris du poids et pèse maintenant 37 kilos. Elle se comporte normalement en piscine.

Malheureusement, sa patte arrière droite reste enflée. Jasmine est sous anti-inflammatoires et l’infection a été drainée. L’équipe de Zeehondencreche est confiante : il faut espérer que Jasmine retrouvera sa liberté dans un avenir proche.

Une question se pose : d’où provenait la jeune Jasmine lorsqu’elle s’est échouée sur la plage de Bernières ?

Les phoques vivent plutôt dans des mers arctiques bien éloignées de la Manche. Il semble difficile qu’un jeune ait pu dériver si loin des ses lieux d’habitat familiers.

Il existe une colonie, bien connue et observée, dans la baie du Mont Saint-Michel (2). Elle compte une quarantaine d’individus et huit à neuf naissances ont lieu chaque été. Mais, ce n’est probablement pas le lieu d’où provient ce jeune phoque.

Par contre, la présence d’une petite colonie de phoque est attestée à la base est du Cotentin, dans la baie des Veys. C’est peut-être de cet endroit plus proche de la Côte de Nacre qu’est venue Jasmine, entraînée par les courants ou par trop de curiosité.

 

Zeehondencreche à Pieterburen

 

Il y a trente ans à Pieterburen aux Pays-Bas, une femme nommée Lenie’t Hart ayant trouvé des phoques malades sur la plage des Wadden a décidé de les soigner dans son arrière-cour. D’abord considérée comme une originale, Lenie’t Hart, de par ses soins pour les phoques, est devenue célèbre aux Pays-Bas.

 

Grâce à des dons de diverses origines, elle a construit une sorte d’hôpital, avec laboratoires, radiographie, quarantaines et installations médicales.

Il est possible de visiter le centre et y voir :

-          principalement des phoques en cours de soins car les animaux sains sont remis en liberté,

-          des chambres de quarantaine où sont prodigués les soins,

-          une piscine, terrain de jeux des phoques en convalescence,

-          un centre d’information sur les activités de la « crèche ».

Cet établissement, ouvert au public, reçoit chaque année environ 300.000 visiteurs attirés par le caractère ludique des phoques qui font la joie des enfants … et des plus grands !

 

 

(1)                 Bulletin de B.O.N. n° 28 de juin 2006

(2)                 Patrimoine normand n° 71 de 2009