UN CHOU MARIN SUR LA PLAGE DE BERNIERES ?

Par Christiane GARDOU


Vous avez pu découvrir au fil de vos lectures passionnées des bulletins de BON de nombreux articles consacrés à notre littoral, à son histoire, à sa faune et sa flore. Aujourd’hui, Christiane Gardou vous fait partager sa découverte incroyable : celle d’un étrange chou marin échoué contre toutes attentes sur le rivage de Bernières !

 


L

e chou marin (Crambe maritima, du grec krambe = chou) est une espèce sauvage des bords de mer voisine de notre chou cultivé (Brassica oleracea) auquel il ressemble d’ailleurs beaucoup. Il pousse généralement les pieds dans les rochers, les galets ou les sables maritimes et la tête dans les embruns. En fonction de ses exigences écologiques ce chou n’est pas très fréquent sur nos côtes : on le rencontre de temps à autre sur les rochers du littoral depuis la mer Baltique, la mer du Nord, la Manche jusque sur les bords de l’Atlantique. Sa limite sud, en France se trouve dans le golfe du Morbihan et les îles de Houat et Hoédic. On le retrouve d’ailleurs aussi de l’autre côté de la Manche, sur les côtes sud de l’Angleterre.

 

Ce chou marin n’avait, à notre connaissance, jamais été observé à Bernières. Sa souche est robuste, très ramifiée et profondément ancrée dans le sable et les rochers littoraux. Ses fleurs sont blanches à rosées et il possède de grandes feuilles vert clair, charnues, ondulées et glabres dont la base, blanchie, est comestible. Mais la récolte en est devenue interdite depuis son classement en espèce protégée (liste des espèces végétales protégées sur l’ensemble du territoire français : arrêté du 20.01.1982, modifié par celui du 31.08.1995).

 

Depuis de nombreuses années, les municipalités successives de Bernières ont consenti de gros efforts pour essayer de mettre en défens et surtout pour fixer les dunes littorales de la commune par une série travaux d’enrochements[1].

 

Les diverses actions menées ces dernières années commencent à porter leurs fruits car, sur le haut de la plage, un peu au dessus de la limite des plus hautes mers, mais en dessous des graminées maritimes comme l’Oyat, une série de plantes pionnières sont apparues successivement. En effet, les amas de laisses de mer qu’on abandonne et qui pourrissent sur le haut de la plage sont peu à peu retenues dans les anfractuosités des rochers maritimes et servent de nutriments à divers végétaux spécialistes de ces milieux. C’est ainsi que successivement nous avons vu apparaître au pied des dunes de sables en voie de stabilisation une association de plantes halophiles (qui aiment le sel) et psammophiles (qui aiment le sable) typiques de ces sites comme la Roquette de mer (Cakile maritima), la Betterave maritime (Beta maritima), l’Arroche des sables (Atriplex), la Soude brûlée (Salsola kali) et, maintenant, le chou marin. Or le chou est le moins fréquent de ces végétaux sur la côte normande. On peut alors se poser la question : comment ce chou est-il arrivé là ? Etant donné que ses graines ne sont pas transportées par le vent et que les stations de chou marin les plus proches se trouvent soit en Manche Nord (falaises calcaires d’Etretat, côtes anglaises), soit dans le Cotentin. Il faut imaginer un autre moyen de transport : oiseaux, homme, courants, etc., le plus vraisemblable étant celui des nuées d’oiseaux marins qui fréquentent nos rivages.

A quoi peuvent donc nous servir toutes ces plantes pionnières inféodées à des milieux aussi spécialisés : ne vous y trompez pas, en dehors de leur rôle de recyclage des matières organiques laissées par les algues pourrissantes qui incommodent nos narines sur le haut des plages au moment des grandes marées de la fin de l’été, elles contribuent aussi à la fixation du sable et à la protection de nos dunes. En effet, la Roquette de mer par exemple, bien qu’étant une plante annuelle, possède une longue racine pivotante qui pénètre profondément dans le sable, la Betterave maritime n’a pas de racine renflée comme sa cousine la betterave sucrière mais elle possède une racine très longue qui s’accroche fortement au sable et tend à le stabiliser. De plus ses racines quasi tentaculaires drageonnent et sont capables d’installer une betterave fille à plusieurs mètres de la plante mère : de véritables envahisseuses. Le chou marin, quant à lui, est devenu vivace. Sa souche longue et robuste lui permet, lorsqu’il apparaît sur une plage, de s’y accrocher grâce à son appareil souterrain : il est en quelque sorte le précurseur de la fixation de la dune. Toutes ces plantes, petites ou grandes constituent donc la première barrière vivante contre les assauts répétés des vagues, du vent et du sable en mouvement sur nos côtes : nous nous devons donc de les protéger et de tout faire afin qu’elles puissent se multiplier dans un but de protection des terres et constructions de l’arrière dune.

 

Mais parmi ces plantes, il y a aussi une réserve génétique importante qui a déjà été mise à profit au cours de notre histoire de la domestication des végétaux. C’est ainsi que la betterave maritime pourrait être l’un des ancêtres qui a servi à créer la betterave à sucre, que la soude brûlée servait autrefois à extirper de la soude caustique, que le chou marin est tellement proche de notre chou comestible qu’ils auraient pu échanger quelques gènes entre cousins, etc. Car l’homme depuis des temps immémoriaux s’est plu à sélectionner et à transformer dans la végétation qui l’entoure les espèces susceptibles de participer à ses besoins vitaux. Et comme les bases de feuilles du chou marin semblent être comestibles, à quand du chou marin cultivé sur les étals de nos marchés bas-normands ?

 

Notons enfin que ce chou ou Crambe maritime fait partie des espèces protégées qui ont justifié la création de la réserve naturelle régionale du Sillon de Talbert à Pleubian en Bretagne. Mais à Bernières, notre dune est déjà protégée, soit. Mais cette protection englobe-t-elle aussi les rochers littoraux et le sommet de la plage ? Et pourquoi ne pas penser à une réserve naturelle dans notre village puisque maintenant nous avons aussi un chou rare et protégé ? En attendant, soyons vigilants et surveillons attentivement ce nouveau venu : il serait bon qu’il puisse faire quelques graines, qu’il essaime et, pourquoi pas, qu’il puisse être le premier jalon d’une petite colonie si les conditions environnementales continuent à lui être favorables.

 

Bibliographie

 

J. CUISENIER – Le rivage de la mer – B.O.N. n° 10, décembre 1996, pp. 4-7.

J. CUISENIER – Les dunes de BERNIERES et les travaux de protection contre la mer – B.O.N. n° 13, juin 1998, pp.19-23.

C. FLEURY & P. SANCEY – Travaux de défense contre la mer : un sujet d’actualité – B.O.N. n° 24, décembre 2003, pp. 4-9.



[1] Cf. B.O.N. n° 10, 13 et 24