LE RAYON VERT

Par Annie de GERY


Le Rayon vert, révélé par Jules Verne le visionnaire, devenu mythe puis phénomène avéré, photographié, expliqué par les scientifiques comme un phénomène atmosphérique, garde toujours son caractère merveilleux et troublant.

A Bernières sur mer, oui, on l’a vu, et avec un peu de persévérance, chacun peut tenter de le découvrir car ses conditions d’observation peuvent y être favorablement réunies.

 

 


L

e Rayon vert a pour vertu de faire que celui qui l’a vu ne peut plus se tromper sur les choses de sentiments ; son apparition détruit illusions et mensonges et celui qui a été assez heureux pour l’apercevoir une fois, voit clair dans son cœur et dans celui des autres.

Voilà une belle déclaration, mais de quel Rayon vert s’agit-il ?

Est-ce du rayon vert de la cathédrale de Strasbourg qui, en période d’équinoxe, apparaît sur la chaire de la cathédrale à midi, heure solaire, lorsque le soleil traverse le vitrail méridional et vient illuminer en vert le Christ gothique du visage aux pieds en quelques secondes ?

Ou bien est-ce ce curieux crapaud, bufo variabilis, que Daubenton et Lacépède, naturalistes du 18ème siècle, observent sous le nom de rayon-vert et que l’on peut apercevoir au fond des jardins par temps humide ?

Non, c’est le Rayon vert de Jules Verne qui est révélé dans le roman éponyme écrit en 1882. Révélé, car pratiquement inconnu avant cette date, sauf de quelques observateurs dont les rapports ont très peu diffusé, sauf peut-être jusqu’à Jules Verne, qui n’a jamais cité ses sources. S’il en donne une description précise et toujours actuelle, elle est cependant suivie d’une jolie envolée lyrique –nous sommes dans un roman-, Jules Verne n’aborde pas le mécanisme du phénomène, laissant ainsi planer, et pour de nombreuses décennies, le caractère mythique et irréel du phénomène :

 «  Avez-vous quelquefois observé le soleil qui se couche sur un horizon de mer ? Oui !sans doute. L’avez-vous suivi jusqu’au moment où, la partie supérieure de son disque effleurant la ligne d’eau, il va disparaître ? C’est très probable. Mais avez-vous remarqué le phénomène qui se produit à l’instant précis où l’astre radieux lance son dernier rayon, si le ciel dégagé de brumes est alors d’une pureté parfaite ? Non, peut-être. Eh bien, la première fois que vous en trouverez l’occasion,-elle se présente très rarement,-de faire cette observation, ce ne sera pas comme on pourrait le croire un rayon rouge qui viendra frapper la rétine de votre œil, ce sera un rayon “vert”, mais d’un vert merveilleux, d’un vert qu’aucun peintre ne peut obtenir sur sa palette, d’un vert dont la nature, ni dans la teinte si variée des végétaux, ni dans la couleur des mers les plus limpides, n’a jamais reproduit la nuance ! S’il y a du vert dans le Paradis, ce ne peut être que ce vert là, qui est, sans doute, le vert de l’Espérance ! »

Un peu plus loin Jules Verne continue par la bouche de son personnage : « Ce dernier rayon que lance le soleil, s’il est vert c’est peut-être parce que au moment où il trouve la mince couche d’eau il s’imprègne de sa couleur…. A moins que le vert ne succède tout naturellement au rouge du disque subitement disparu mais dont notre œil a conservé l’impression, parce que en optique le vert est la couleur complémentaire ! »

Le rayon vert photographié à Madagascar
Le rayon vert photographié à Madagascar

Depuis la révélation du Rayon vert par Jules Verne, nombreux sont les récits d’observation d’une lueur verte au coucher du soleil surtout par des observateurs en mer. Le phénomène s’il existe bien, est rarement observé, très fugitif, longtemps inexpliqué, ce qui lui confère, surtout pour le terrien, ce caractère toujours mystérieux, voire même mythique,

Le Rayon vert existe bien mais il s’agirait plutôt d’un point vert lumineux, on dirait un « flash » en anglais, que d’un véritable et dramatique rayon comme il est imaginé et illustré dans « Les voyages extraordinaires de Jules Verne » édités en 1882[1].

Le Rayon vert existe réellement comme en témoignent non seulement des observateurs sérieux mais aussi de surprenantes photographies…en couleur.

Le phénomène est rare, car nombreuses sont les conditions d’apparition et d’observation qui doivent être réunies : atmosphère calme, absence d’objets sur la trajectoire, de nuage, de poussière, différence de température entre la terre et la partie basse de l’atmosphère, situation et expérience de l’observateur.

Pourtant, parmi les nombreux Berniérais qui habitent en bord de mer et qui ont le privilège de voir de chez eux, chaque soir (enfin presque) se coucher le soleil, quelques uns nous ont rapporté avoir effectivement observé ce fameux rayon et pour certains, plusieurs fois, comme madame Catherine H. qui l’a observé à trois occasions : par des couchers de soleil très rouges, un ciel parfaitement clair et, chaque fois au moment de la disparition du disque, elle a saisi, non pas une lueur verte, mais un vrai rayon qui montait, bien vert , perpendiculairement à l’horizon. Jean L. n'a vu lui, qu'une tache d'un vert clair mais vif et bien sûr très fugace, mais, malgré des observations ultérieures, il n'a jamais revu ce phénomène; c'est lui cependant qui nous en a suggéré le thème[2].

Les conditions les meilleures pour avoir quelque chance d’apercevoir le Rayon vert ?….avoir à sa disposition un horizon ouest dégagé…en bord de mer (mais c’est Bernières !), bien fixer le soleil qui descend[3] sur cet horizon jusqu’à voir la partie supérieure du disque solaire se détacher comme un ballonnet. C’est dans cette partie que le « Rayon vert » peut apparaître, la teinte dépendra bien sûr des couleurs environnantes.

Il faut aussi prendre de la hauteur, la meilleure observation se faisant de 3 à 5 mètres au-dessus de la mer, il faut surtout être averti et attentif car le phénomène ne dure que quelques secondes … sauf aux pôles où il peut durer jusqu’à 35 minutes !



[1] Extrait de Jules Verne illustré. Les voyages extraordinaires. Bibliothèque d’éducation et de récréation. J. Hetzel et Cie Paris éditeur. 1882

[2] Madame J.M a pu l’observer le 12 juin dernier depuis la terrasse du « Père Tranquille » : un rayon d’un beau vert tendre, parallèle à l’horizon.

[3] On pourrait aussi voir le rayon vert au lever du soleil avec un horizon est dégagé, mais d’abord à Bernières c’est à l’ouest que l’horizon est sans obstacle et d’autre part il est plus facile de suivre le soleil quand il se couche que de repérer le point où il se lèvera.

Mais quel est le phénomène scientifique, l’explication qui ôtera définitivement au Rayon vert son mystère et sa poésie ?

Avant sa « médiatisation » par Jules Verne au début du XIXème siècle, des navigateurs anglais l’avaient observé et avaient donné des descriptions plus scientifiques, l’associant à un mirage, phénomène de réfraction déjà connu. Il semble certain que ces « rapports » anglais n’aient d’ailleurs jamais été connus de Jules Verne.

 

En réalité, le rayon vert s’explique par la décomposition de la lumière du soleil par les différentes couches de l’atmosphère[1]. Les rayons du soleil sont diffractés, déviés, en traversant les basses couches atmosphériques et la déviation est décuplée sur l’horizon. La lumière est décomposée en ses différentes couleurs primaires (comme l’arc en ciel) et chaque couleur ayant des longueurs d’onde différente est déviée différemment : les couleurs ayant les longueurs d’onde les plus courtes (verte et bleue) s’élèveront plus haut que les rouges à longueurs d’onde plus longues ; Alors les rouges disparaissent en premier, ne laissant apparaître à l’horizon que la couleur verte ou bleutée qui n’est jamais très vive.

Au bord de la mer, la réfraction atmosphérique est plus importante quand le soleil est bas sur l’horizon.

Le mystère est levé, la poésie s’est envolée mais l’excitation demeurera pour celui qu aura la persévérance et le don d’observation pour percevoir depuis notre plage, ou mieux notre digue, le fugitif point vert…. Et qui sait, peut-être verra-t-il alors plus clair dans son cœur et dans celui des autres comme l’annonçait Jules Verne. Madame Catherine H. et Monsieur Jean L ne nous ont rien confié à ce propos !




[1] Thierry Lombry et Andrew T. Young, : Ciel bleu et rayon vert. www.astrosurf.com