UN BERNIERAIS DEVENU QUEBECOIS

TEMOIGNAGE de SYVAIN CORNAC


Tous nos lecteurs connaissent l’attachement que les Bernièrais portent au Québec. Les échanges réguliers et les contacts des uns avec les autres, tant à Bernières qu’au Québec ont permis un approfondissement de l’amitié sincère qui s’est installée.

Les liens ainsi noués ont permis à de nombreux Bernièrais de bien connaître la vie, la mentalité et la culture des cousins québécois.

Cependant, rares sont ceux qui, quittant Bernières, ont franchi l’océan et se sont installés au Québec.

Aujourd’hui B.O.N. présente à ses fidèles lecteurs le témoignage d’un jeune Bernièrais, Sylvain Cornac, qui a sauté le pas et fait du Québec sa seconde patrie. Et vous constaterez que son attachement à notre village reste toujours vivace !

Mon université sous la neige                    Cliché S.C.
Mon université sous la neige Cliché S.C.

Chères Bernièraises, chers Bernièrais,

 

Je vous écris de loin, du Québec, de l’autre côté de l’océan et je peux vous dire une chose d’emblée…Vous me manquez. Alors pour ne pas sombrer dans une nostalgie mal placée (à 24 ans quand même…!) je préfère vous faire connaître comment un petit gars de Bernières se retrouve en Nouvelle France par une succession de belles coïncidences.

Cela fait un bout de temps que je connais Bernières sur Mer bien que je sois natif de Saint-Germain-la-Blanche-Herbe et que mon enfance se soit passée à Lion-sur-Mer, entre notre maison familiale et la plage. C’est l’art qui m’a fait très tôt découvrir Bernières. Ma mère m’y emmenait lorsqu’elle allait dans un atelier, là où elle sculptait la terre. Ce village, c’était pour l’enfant que j’étais, le bout du monde… Après Courseulles-sur-Mer, alors là je risquais de tomber dans un trou sans fond!

Et puis, plus de contact avec Bernières pendant un sacré bout de temps. Aspiré par la spirale du collège de Ouistreham, d’autres découvertes, des impératifs, d’autres atmosphères… Bernières, je ne l’ai retrouvé qu’à 14 ans. Notre nouvelle demeure se trouvait rue Traversière. Jolie nom, jolies ruelles; des voisins sympathiques dont le peintre renommé Jacques Deshaies qui, à l’angle de la rue, était toujours prêt à tailler la bavette. Souvenirs de liberté sur cette plage assez sauvage, plus discrète que ce que je connaissais à Lion-sur-Mer…un petit bout du monde pour un adolescent un peu taciturne. La plage avait toujours été notre terrain de jeu familial et cela n’a pas changé. C’est une chance de pouvoir profiter de la mer et, moi qui vis maintenant en ville, quasiment en permanence, j’en mesure le prix : ce que vaut une bouffée d’air frais et bien salé. Quand cela me manque, je vais sur les bords du Saint-Laurent et j’écoute les goélands, alors je suis chez moi…

Ma vie à Bernières m’a beaucoup apportée. La présence familiale fut salutaire et j’y ai rencontré un de mes grands amis avec qui, quelques années plus tard, j’allais faire une « vélodyssée »…et pédaler dur de Normandie jusqu’en Grèce. Que de souvenirs plaisants ! Et la commune de Bernières commençait déjà à m’épauler dans mes aventures puisque nous recevions, avec Emmanuel, un chèque à notre retour pour développer nos photos et faire une exposition que vos enfants ont peut-être vu à l’école primaire.

Je ne savais pas que quelques mois plus tard, la commune me ferait une proposition qui allait me propulser vers une terre que je n’ai plus quittée : le Québec. Alors que je virevoltais dans une vie d’adolescent avec ses aléas et ses fous rires, cette proposition paraissait insolite dans ma petite vie…J’allais traverser l’océan, prendre l’avion, découvrir ce continent qui, pour moi, n’évoquait pas plus que des clichés : des paysages magnifiques et verts, la liberté…mais laquelle ? Il fallait y aller et en avoir le cœur net !

Cela prit quelques mois avant de partir cet été de l’an 2005, le temps de s’arracher à la France, de dire adieu aux amourettes et voilà que je me retrouve dans un autre univers. Cela a été un choc…Ou plutôt le contraire, à l’aéroport de Montréal. C’était tellement calme, «cool» serait le mot exact. Rien à voir avec l’agitation parisienne et son stress bien connu. J’allais de découvertes en découvertes. Mon premier long voyage en solo mais j’avais tout de même une destination et surtout, «une job» comme on dirait ici, qui m’attendait dans une ville des plus reculées au sud-est du Québec. Eh oui, Bernières étant jumelée avec Beauceville en souvenir du soutien Canadien du Débarquement, les deux villages venaient de se mettre à promouvoir des échanges estivaux. J’allais travailler dans le «camps de jour», le centre de loisir de la ville de Beauceville. Simultanément, de l’autre côté de l’Atlantique, mon double québécois allait prendre ma place dans ma famille et travailler pour la municipalité de Bernières-sur-Mer…

Le Mont Royal à Montréal                        Cliché S.C.
Le Mont Royal à Montréal Cliché S.C.

Je fus frappé par un accueil chaleureux. Le jour de mon arrivée dans cette petite ville d’un Québec assez profond, on me montra mes appartements. Logé chez l’habitant, j’avais toutes les chances de vivre intensément cette expérience en Nouvelle France. Le soir même, j’étais baptisé officiellement et solennellement «le Français» par mes collègues de travail, un surnom tout désigné pour l’étranger tant attendu et qui ne me quitta plus pendant tout mon séjour.

Je compris vite que l’été ravissait tous ceux que je côtoyais et que je trouvais prêts à toutes les fêtes. L’hiver étant long…trop long, arrivé l’été, une ivresse de vivre à tout prix s’emparait de tout ce petit monde. J’aimais profondément leur gaîté et l’impossibilité même de s’ennuyer. Pour communiquer pleinement, il m’a bien fallu un moment d’adaptation afin de comprendre ceux qui m’entouraient, mais je dois dire que c’était bien réciproque. Le français que j’étais, devait rajouter quelques décibels à son timbre de voix et élargir la mâchoire en parlant s’il voulait se faire comprendre…On m’imitait en prenant une petite bouche.

J’avais l’impression «qu’eux autres», avaient un dialecte d’ancien français, se rapprochant de la façon dont parlaient les vieux Normands du cru que j’avais côtoyés dans mon enfance. Quelques Français reprocheraient aux Québécois leur phrasé qui peut choquer, avec des expressions vieillottes, leur «franglais» (ne leur dites pas que j’ai dit ça…ils nous accusent avec virulence, nous et nos «shopping», nos «parking» etc.), et des tournures à la « tu viens tu ? », « c’est tu à ton goût ? », incomparables. C’est aussi et surtout ce « punch » à l’oral, cette énergie dans la façon de faire, de se comporter qui m’a fasciné. Il m’a fallu un moment pour retenir l’attention de mes interlocuteurs quand les discussions se prolongeaient, car un Français (et j’ai l’occasion de le constater aujourd’hui à l’université) peut endormir son interlocuteur québécois… Avec eux, il faut aller droit au but et laisser de côté sa prose et son verbiage. Reste que Françaises et Français fascinent ceux qui se considèrent vraiment comme leurs cousins. C’est indéniable dans le rapport à la langue même si celle-ci a évolué d’une façon qui lui est propre (non, les Québécois « ne parlent pas mal » comme certains s’accusent eux même). Leur histoire ne commence en Nouvelle France qu’au XVIe siècle…Avant cela, les racines se situent dans un royaume que nous avons partagé. En cours d’histoire, « Nos ancêtres les Gaulois », ça marche.

Cette expérience Outre Atlantique aura profondément changé ma manière de regarder le monde. A mon retour en Normandie, j’ai découvert à nouveau des lieux que je croyais pourtant connus car j’ai pu travailler, grâce à mon père, dans la distribution de publicité sur la Côte de Nacre. Il n’y a pas mieux pour connaître un village comme sa poche puisqu’on est obligé de se faufiler dans la moindre petite cour, la moindre venelle. Je dois dire que Bernières-sur-Mer recèle de petits coins inattendus et forts charmants qu’il faut se donner la peine de découvrir.

Ma vie estudiantine aurait pu tourner à la rengaine, quand les portes de la Turquie s’ouvrirent devant moi. Je fus en effet sélectionné pour participer au programme européen Erasmus. La mythique Istanbul allait devenir ma ville de prédilection. J’allais y trouver bien des surprises…. Je passais presque une année dans un pays qui devenait peu à peu le mien. J’y appris la langue Je me passionnais pour l’histoire de cet empire ottoman que l’on ne conçoit malheureusement, dans nos manuels d’histoire, que sous l’aspect de cet « homme malade de l’Europe » que les puissances occidentales s’empressèrent néanmoins d’achever.

Avant Haloween !...           Cliché S.C.
Avant Haloween !... Cliché S.C.

C’est à la fin de l’année scolaire que le Québec m’a comme rappelé à lui : une offre de bourse envoyait à Montréal quiconque était prêt à s’y rendre pour suivre un cursus d’histoire avec pour thème précis l’empire ottoman. Tout devait se passer à l’Université du Québec à Montréal…un lieu que je connaissais puisque j’avais dormi dans les résidences lors de mon arrivée deux ans plus tôt.

J’abandonnais donc la sociologie en France pour de l’histoire au Québec et je compris grâce à mon professeur Stefan Winter, comment on peut réaliser des projets, pour peu qu’on s’en donne les moyens. Tellement de champs sont à débroussailler ici, de choses à mettre sur pieds. Sans vouloir trop idéaliser…c’est encore un pays neuf qui permet des libertés peu connues en Europe…« le Vieux Monde » comme on l’appelle ici.

Cette expérience québécoise se révéla bien plus citadine cette fois puisque je résidais à Montréal, une ville que je me pris à aimer. Un sentiment de liberté m’envahissait, avec ses grands espaces, la nature qui est là toute proche, le bilinguisme et les États-unis à quelques heures. Je travaillais dur dans une discipline dans laquelle j’avais tout à prouver et je crois que, mes parents me soutenant fermement (et je les en remercie tant), ce fut un succès puisque le temps ainsi libéré pour étudier me permit de décrocher plusieurs bourses d’excellences l’année suivante. C’est aussi grâce à de solides et profondes amitiés que j’ai pu faire ma place à Montréal et me sentir chez moi tout en étant étranger… Caroline, la colloc’ de choc m’invitait le soir de Noël avec sa grande famille, au nouvel an dans leur chalet de bois rond. Des expériences que je n’imaginais que dans mes rêves d’enfant. À force, les personnes à qui je parlais au téléphone, de l’autre côté de l’océan, commençaient à rire des tons que je prenais. Je m’immergeais encore et toujours et serais peut-être devenu un Québécois typique si je n’étais pas rentré en France pour m’embarquer pour la Syrie…?

Mes études ottomanes m’amenaient, à ma grande excitation, à reprendre la route. Cette fois, je partais pour trouver des archives pour mon mémoire avec mon professeur (heureusement arabophone…) et un étudiant québécois, Nicolas, avec qui nous allions vivre des aventures trépidantes de la Syrie jusqu’en Turquie où nous passâmes deux mois.

Je rentrais ensuite au Québec pour poursuivre ce cursus. C’est alors que je pris connaissance d’un autre projet qui allait encore une fois tracer de nouvelles routes. Le Centre Juno Beach de Courseulles-sur-Mer cherchait à recruter des étudiants en passant le mot à toutes les universités canadiennes. Je trouvais une de ces annonces à l’université, fort surpris de découvrir quelque chose concernant ce musée qui était à deux pas de chez moi en Normandie. Quelle aubaine! J’en oubliais presque que je n’étais pas Canadien (à force), condition sine qua non pour y être guide et sensibiliser véritablement un public canadien qui y constitue le tiers des visiteurs. Je postulais et j’insistais car l’occasion était trop belle. Finalement le centre m’engageait comme hôte d’accueil et caissier pour un mois. J’en étais ravi et j’allais pouvoir revenir chez moi, y travailler à temps plein ce qui allait être ma première expérience de la sorte dans le monde du travail…et je ne quitterais pas vraiment ce cher Canada.

Le travail m’a bel et bien accaparé, stimulé. Le Centre Juno Beach deviendrait rouge comme les feuilles de son emblème si je devais énumérer les compliments que je pourrais lui faire. Là, j’étais en France sans avoir quitté le Canada. Cette fois, cela concernait, non seulement le Québec mais aussi toutes les autres provinces qui sont majoritairement anglophones.

Nous avons eu de belles commémorations en ce 65ème anniversaire du Débarquement. Ce fut touchant : une belle fête où la joie et la gravité s’entremêlaient et, face aux vétérans, ces hommes et ces femmes qui ont vécu et parfois combattu dans cette guerre, nous ne pouvions que nous sentir reconnaissants et à l’écoute de la moindre expérience de ces moments historiques.

Nous avons formé une magnifique petite équipe avec des Canadiens et des Canadiennes de plusieurs des provinces de ce grand pays. Tous bilingues, j’ai pu garder avec eux le contact avec cette culture si particulière que j’avais cru quitté en revenant en France. Ensemble et notamment grâce à notre Directrice, nous avons ainsi développé un grand sens de l’esprit d’équipe et la convivialité s’est spontanément installée entre nous. Au Centre Juno Beach, le monde défilait devant moi sans que j’eu besoin de me déplacer. J’ai eu droit à des moments poignants, des moments pleins de poésie, comme si se souvenir de cette guerre, nous rappelait le prix et la chance de connaître la liberté.

Je m’en suis retourné à mon Québec d’adoption… Je ne sais pas quand je reverrai Bernières mais la Normandie a laissé en moi des marques indélébiles et j’irai la revoir quand cela me sera permis.

En attendant, chères Bernièraises, chers Bernièrais, portez vous bien et, si vous passez devant la mer, saluez la de ma part, elle que j’avais tant regardée en me demandant ce qu’il pouvait bien y avoir de l’autre côté…

B.O.N. remercie la Directrice du Centre Juno Beach dont l’aimable entremise nous a permis de recueillir ce témoignage.